FABULATIONS

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Fermé pour cause de congés

Les jours rallongent, les bulletins ou autres conseils de classe sont bouclés et les conversations sonnent l'approche de la sortie. Je le sens le regard inquisiteur, le haussement d'épaule méprisant, la jalousie triste. Et oui je suis prof et comme tout bon prof de lycée qui se respecte, je suis en vacances. Un mois avant mes collègues du primaire et du collège je quitte mes élèves, déjà ! Et j'en suis ravie. Je ne vais pas faire croire que j'aimerais travailler davantage puisque j'attends avec impatience ce train qui me mènera vers le sud à l'heure où d'autres crouleront sous le boulot.

Est ce que c'est mérité ? Je n'en sais rien, ça fait partie du contrat. Bien sûr je serai encore présente pour quelques révisions, pour quelques surveillances mais on est bien d'accord, ça n'a rien à voir ! Et cette année, oh rêve inaccessible, pas de corvée de bac,un comble extatique !

Quand j'ai choisi d'être prof, j'ai choisi aussi ces vacances. Le reste de l'année, je ne compte pas les heures et elles sont bien rares les semaines à moins de 45 h. C'est simple, j'assure 19h de cours et contrairement à ce que l'on peut croire je dois chaque année préparer chaque heure. Une heure généralement par heure assurée. J'enseigne une matière chronophage et génératrice de nombreuses copies. Pas une semaine sans un paquet soient quelques heures supplémentaires et d'autant plus longues que les élèves sont nombreux. Je considère qu'on ne progresse qu'en faisant alors je les fais écrire et je corrige quasiment tout ce qu'ils produisent. Bref,je ne m'ennuie pas. A chaque semaine de vacances correspond souvent une épreuve type bac. 4 h de production, au moins 4 à 5 pages par élève! Ça en prend du temps pour assurer la correction. J'estime donc que mes vacances sont méritées finalement. Et puis vu le peu de personnes intéressées par les concours de l'éducation nationale et le nombre grandissant de démissionnaires, il faut croire que ce métier plein de vacances n'attire pas tant que ça.

Et c'est un tort. Certes le salaire n'est guère conséquent, je gagne 2190 nets euros par mois après 21 ans d'ancienneté. Je peux augmenter de 200/300 euros cette somme si j'assure des heures supplémentaires (mais je n'en suis guère capable preuve que ça fatigue quand même pas mal). On peut considérer que c'est une somme insuffisante mais elle n'est pas non plus négligeable. Ce salaire a diminué puisque deux de mes filles qui me permettaient un supplément familial de traitement ont dépassé la vingtaine. Vous ne m'entendrez pas dire que vu le niveau d'études (bac+5) c'est peu payé car je déteste cette idée que les études permettent un salaire plus élevé même si c'est souvent le cas. Fille d'ouvrier mon salaire me semble satisfaisant et en rapport avec l'investissement nécessaire mais aussi lié aux vacances accordées dans ce métier. Si je déplore les conditions de travail en constante dégradation, je ne considère pas notre rémunération honteuse. Pour entrer dans l'Education nationale, j'ai dû suivre 4 anneés d'études de lettres fort agréables, passer un concours (moins agréable) et n'ai donc travaillé durement qu'à partir de l'âge de 23 ans. Certes, j'ai quelques responsabilités, je dois sans cesse être en forme car, quelle que soit ma condition physique, impossible pour moi de me cacher derrière un écran, il faut affronter les parfois 35 élèves en toute circonstance. Il faut parfois avoir une certaine dose d'énergie pour supporter les envies de bavardages, les errements des ados... Mais, je n'ai pas un métier difficile, pas non plus des décisions importantes à prendre. Je suis au chaud (enfin quand le chauffage n'est pas en panne) et je parle d'un sujet qui me plaît, j'analyse souvent des oeuvres qui m'intéressent. Bien sûr, les nouveaux programmes, les réformes récentes entraînenet crispation et déception, dégradent sans limite les conditions de travail mais le fond de mon métier, si le gouvernement ne le tue pas, continuera de m'intéresser et de me motiver. Ce qui m'agace parfois, c'est que dans ce métier, un autre concours permet de ne pas être payé avec la même rémunération ni d'effectuer le même nombre d'heures, une hérésie!

Bref, j'ai un métier qui me plait et qui me permet, en cette veille de "vacances" de me retrouver avec de nombreuses heures vacantes. Ce métier n'est pas lucratif, n'est pas non plus l'assurance d'une reconnaissance mais c'est de nombreux moments d'échanges, de gratitude, d'apprentissage, de surprise et de nouveautés.  C'est un métier dans lequel on s'ennuie rarement et où rien n'est jamais acquis.

 

J'avais juste envie de rappeler que ce métier , qui n'est pas une vocation, est un métier, dans l'établissement dans lequel je l'exerce qui permet l'épanouissement du plus grand nombre. Cet établissement a encore quelques moyens, parvient encore à développer un climat agréable mais je sais que ce n'est pas toujours le cas. On est en train de détruire l'école au profit des élites afin de nier les plus fragiles,sources de dépenses supposées "inutiles". On a détruit les rêves et transformé les hommes en consommateurs mais il reste encore, peut-être, un espoir pour que mon métier continue à me plaire (et même en dehors des vacances scolaires !)

 

Bref au moment de prendre la route du sud, j'aime mon métier et parfois il me le rend bien.

 



19/06/2019
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