FABULATIONS

FABULATIONS

J'aurais voulu n'avoir jamais à choisir

Alors que je parcourais quelques blogs, je suis tombée sur cet article permettant d'être plus en paix avec soi-même. J'ai apprécié la clarté des explications, la sincérité des confidences et pourtant, cette chronique m'a un peu plus démoralisée. Il semblerait que je fusse incapable d'être en paix avec moi-même. 

 

J'aimerais tellement ressentir la douceur et les joliesses de la vie mais, jamais je ne parviens à extraire cette noirceur, ce sentiment de nullité, de culpabilité, de dangerosité.

 

Difficile d'en parler, difficile d'évoquer ici les tourbillons qui m'ont ainsi coulée mais il est quasiment impossible de les surmonter. Difficile de se sentir meurtrière et de ne pouvoir impunément en témoigner parce que ce témoignage me pèse mais aussi parce que je sais qu'il pourrait ajouter une pierre pour un édifice que je ne souhaite pas. C'est ma certitude, jamais je n'accepterais qu'on puisse remettre en cause ce droit si durement gagné parce qu'on peut être en faveur d'un droit qui vous detruit parce que ce n'est pas votre cas particulier qui doit prévaloir, parce que ce n'est pas l'exception qui doit empêcher la règle, parce que ce n'est pas le droit qui pose problème. Le problème, c'est moi! le problème c'est que ce choix imposé en juillet 2015 reste ancré en moi comme la première arme d'une entreprise destructrice. Je le répète et le répète encore, ce n'est que mon expérience, uniquement mon ressenti et cela ne doit jamais être considéré comme autre chose que ma douleur. Cette douleur, elle est circonstanciée, particulière et ne signifie absolument qu'un autre choix fût possible, qu'un autre choix eût été plus favorable. Mais il est une certitude, depuis juillet 2015, le noir est entré dans ma tête.

 

Il aura suffi d'un concours de circonstances, une infection suffisamment grave pour entrainer une hospitallisation, la volonté d'éviter vainement une intervention chirurgicale endommageant soi-disant irrémédiablement des organes, qui quelques moi plus tard pourtant se révéleront fonctionnels peut-être à cause de méthotrexate prescrit à dose assez forte, de conseils mal avisés d'un gynécologue estimant inutile une contraception, des cycles irréguliers et incontrôlables, une fertilité peu prévisible... il aura suffi de tout cela pour qu'en ce 1er juin 2015, le ciel me tombe sur la tête.

 

Il n'y a pas une journée sans que je ne pense à ce qui aurait pu être, pas une journée où je m'interroge sur les raisons d'un tel cataclysme, pas une journée sans me sentir triste, inconsolable, coupable. Et pourtant, quand je me rappelle le corps médical, je pourrais citer leur attitude en modèle dans tous les manuels de médecine. La jeune interne qui m'a accueillie a, et je lui en suis tellement reconnaissante, tout mis en oeuvre pour que ce rendez-vous soit le plus délicat possible. Contrairement à ces témoignages dégradants, j'ai rencontré un personnel bienveillant, aidant, dépourvu de tout jugement. Je me rappelle avec reconnaissance ses gestes parmi d'autres: couper le son du monitoring, tourner l'écran de contrôle vers elle, détourner mon attention par des questions précises tandis qu'elle vérifiait la présence tant redoutée. Elle n'a pas cherché à comprendre, dit ainsi cela peut paraître brutal, mais je crois qu'elle a surtout cherché à me prouver qu'elle n'avait pas à juger ou même commenter mon choix. Elle était douce, calme, bienveillante. Elle a toutefois, parce qu'elle me sentait terriblement mal, appelé la psychologue, pris un rendez-vous, m'expliquant que c'était un droit qui m'était offert, qu'il m'appartenait d'en profiter ou non. Elle ne pouvait pas malheureusement empêcher ma peine. Elle ne pouvait que la prendre en compre. Plus tard, quand il s'est agi de subir l'intervention redoutée, c'est une jeune femme souriante qui m'a proposé quelques substances pour m'apaiser. Jamais je n'ai perçu l'ombre d'un jugement, l'ombre d'un reproche. Je n'ai rencontré, dans ce service où on prend la peine de ne pas nous confronter aux naissances voisines, que des personnes compétentes, protectrices et bienveillantes. 

 

Malheureusement, personne ne pouvait savoir ce que je ne disais pas, ce que je ne montrais pas assez, ce que je ne savais même pas.

 

Il y avait tout d'abord eu cette attente, ce doute, l'obligation d'admettre l'impossible. J'avais pendant des mois ressenti une forme de dépit à l'idée de la stérilité annoncée. Je n'étais plus vraiment une femme avant l'heure. Comment pouvais-je alors me retrouver à fixer les bandes de ces tests si connus? Comment avais-je pu ne me rendre compte de rien? Mais c'était une certitude, le test était positif et on n'y pouvait plus rien. Il m'avait alors fallu passer ce coup de fil qui permettrait de connaître la procédure à suivre car sa réaction avait été sans appel, il avait l'âge d'être grand-père, il l'était d'ailleurs, il ne pouvait pas jouer ce rôle de jeune père qui n'était plus le sien. Notre histoire n'était pas admissible, l'issue était donc certaine. Et, alors que le doute s'installait en moi, je me tus et suivis ses résolutions. Je dormais ce matin-là mais il me réveilla dès l'heure de l'ouverture du service pour que je téléphone. Il avait raison, il ne pouvait n'avoir que raison. Je devais me résoudre à l'intervention. Il m'accompagna lors de ce rendez-vous terrible qui fixerait la date fatale. Il m'accompagna et décida du déroulé des événements, m'obligeant à attendre un délai supplémentaire afin qu'il puisse se libérer et être présent. Dans le tourbillon, je ne saisis pas immédiatement les conséquences de ces trois interminables semaines, je n'imaginais pas le corps qui se prépare, les doutes qui assaillent, les kilos mêmes qui s'invitent. Comment ai-je pu accepter me soumettre à son emploi du temps? Comment a-t-il pu m'imposer cette attente mortifère? 

 

En ce mercredi terrible, je me rappelle chaque seconde qui m'a menée jusqu'à ce bureau de l'infirmière. Deux comprimés m'attendaient, deux comprimés qu'elle me regarderait avaler, deux comprimés que j'avais envie de gerber. J'étais seule et je commettais l'irréparable, je m'enfermais à jamais dans le noir. Il ne rentrerait que le lendemain, il ne serait présent que pour l'enlèvement. 

 

J'ai rencontré la psy conseillée par l'interne, une femme qui m'a permis de poser des mots sur ma tristesse, sur ma culpabilité, une femme qui, comme l'ensemble des personnes rencontrées, m'a soutenue et accompagnée. Elle a tenté de m'aider en me rappelant la cure de méthotrexate, la faute du gynécologue de ne m'avoir pas mis sous contraception malgré cette cure. Elle n'a malheureusement pas pu ôter le noir, ce noir qui m'accompagne chaque jour et qui m'empêche de me sentir bien. Je crains que les conseils donnés pour voir les petits bonheurs, pour permettre d'avoir une vie plus sereine, ne puissent jamais effacer ce noir. Et sans doute, malgré tout, ce noir c'est ma peine à purger, le prix à payer pour ce que j'ai accepté, pour le mal que j'ai fait. 

 

J'aimerais tellement être certaine d'avoir eu raison, j'aurais tellement aimé n'avoir jamais à devoir choisir, j'aurais tellement aimé avoir eu du temps, mais je n'ai que ce noir,  ces détails que je ne dirai pas, tout ce qui m'assaille et que je préfère taire, tous ces maux qui m'étranglent. Parce qu'il y ce que l'on sait, ce que la sciences nous apprend mais il y a surtout ce que l'on ressent, les maux que l'on entend. Alors, je préfère terminer par ses mots, parce que ce qu'elle dit est terriblement juste, parce que, quoi que je vive, quoi que j'espère,  je revendique ce droit:

discours de Simone Veil du 26 novembre 1974

 

 

 



24/04/2019
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