FABULATIONS

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J'ai mal à l'école...

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                                                       Robert Doisneau

 

    Un jour, peut-être pas pour les bonnes raisons, peut-être pas par vocation, j'ai passé le CRPE (concours régional des Professeurs des écoles). J'avais 23 ans, une petite fille et je devais travailler. Titulaire d'une licence de lettres modernes, après avoir eu un baccalauréat scientifique, c'est le concours qui me semblait le plus adapté à mes envies et surtout à mes capacités. Ce n'était pas du tout mon rêve depuis que j'étais toute petite, mais j'avais eu l'occasion d'intervenir en détention dans le cadre de la lutte contre l'illettrisme et avais donc choisi ce thème comme sujet de dossier "la lutte contre l'illettrisme en milieu pénitentiaire". Je me souviens que le concours m'avait semblé long, épuisant et intense. Nous étions plus de 1200 inscrits et seules 130 places étaient disponibles. C'était l'époque où le métier attirait encore de nombreux candidats. Le concours en poche, grandement aidée par un thème méconnu des examinateurs, et une année de stage plus tard, je retardais l'entrée dans mon tout premier poste de quelques semaines pour congé maternité. Sans doute devoir laisser ma toute petite, à peine âgée de 12 semaines à la crèche pour aller travailler n'a pas facilité mon insertion dans le métier mais je me rappelle très précisément mon sentiment de désespoir face à la masse de travail, à l'ampleur de la tâche, à mon incompétence. A l'époque, néo-titulaire, j'avais dû me contenter des postes laissés sur le carreau ou les quelques rares ouvertures de poste qui avaient été autorisées trop tard pour avoir un enseignant. Premier poste et des conditions peu reposantes puisque mon affectation se divisait en deux mi-temps éloignés de 30KM l'un de l'autre. J'exerçais dans une école urbaine le matin (9h00-12h10) et dans une école rurale l'après midi (13h15 - 16h15). J'avais tout juste le temps de parcourir les kilomètres, mangeant un sandwich dans ma voiture. J'étais généreusemement dédommagée pour ces deux postes (après avoir toutefois menacé de ne pas exercer si on ne me payait pas de frais de déplacements) mais cela ne me donnait pas le repos nécessaire. Lorsque je rentrais le soir vers 17H, je récupérais mes enfants et très vite me remettais à travailler 4 à 5heures. Certes, c'était mon premier poste, certes, j'avais deux niveaux complétement différents mais je crois que nombreux collègues travaillaient autant. Les cours me plaisaient et j'appréciais le contact avec les élèves mais je ne me sentais pas vraiment à ma place. J'avais trop de disciplines à préparer pour lesquelles j'étais parfaitement incompétente, et surtout, je n'étais pas capable de mener des activités manuelles ou artistiques, je ne savais pas vraiment parler à ces enfants. 

    L'année s'est terminée et un nouveau poste m'a été "proposé". Une SEGPA (section située en collège accueillant les enfants de 12 à 16 ans en grande difficulté scolaire). Je n'avais aucune qualification pour ce poste spécialisé et ne l'avais pas demandé mais le jeu des points me l'avait attribué. Ce collège se trouvait à 40 km de mon domicile et je me sentais peu armée pour m'en sortir. Toutefois, travailler en SEGPA avait l'avantage de me laisser tous mes samedis libres (ce qui n'était pas le cas en primaire), de ne comporter "que" 23h face aux élèves (26h en primaire) et de me permettre un salaire plus élevé (voyez où se cache la vocation!). Ce que je n'avais pas prévu c'est que, ces élèves en grande difficulté étaient lâchés dans cette structure sans accompagnement ni moyen. La structure n'était même pas conforme, sans directeur et face aux difficultés je me retrouvais bien seule. Quelle ne fut pas ma peur lorsqu'un jour, un jeune élève à qui j'avais posé une question, se leva, armé de sa béquille et me menaça de me fracasser le crâne. Un autre jour, c'est une élève à qui je demandais de quitter ses écouteurs qui frappa le mur parce qu'elle avait manqué ma tête. A chacune de ces agressions, je n'obtins aucune réaction de la hierarchie si ce n'est quelque heure de retenue fixée des semaines après. Aujourd'hui, je comprends mieux le geste de ces gamins, je sais combien, alors que je pensais agir pour leur bien, à ma manière je les agressais mais je ne comprends toujours pas la solitude dans laquelle je me trouvais. Durant mes premiers mois en SEGPA, je rentrais chaque soir épuisée, déprimée, en larmes.  Seul un collègue, un jour, me proposa son aide et sauva mon année. Fort de son autorité, il vint s'asseoir au fond de ma classe et, dans le calme relatif grâce à lui obtenu, je pus "faire cours". Les élèves et moi-même nous apprivoisâmes et peu à peu j'enseignai. Pendant 4 ans, j'ai ainsi, chaque jour, rejoint ce collège.

    Côtoyant de nombreux profs de collège, je pus alors constater l'abyme qui séparait nos deux statuts soi-disant équivalents. Chez moi, point d'Heure sup à l'année. Je devais me contenter de quelques heures sup occasionnelles, rémunérées 50% de moins que mes collègues du secondaire. Je devais aussi accepter une rémunération moindre pour les heures de coordinations et de synthèse: 32 euros pour eux, 18 pour moi. Je faisais le même métier, avais des élèves ô combien difficiles, voire les mêmes (j'assurais des cours auprès de collégiens classiques) mais n'avais absolument pas les mêmes avantages. C'est sans doute pour cela, lorsque je fus mise en congé maternité, long congé maternité puisqu'il s'agissait d'une troisième grossesse, que je décidai de préparer le CAPES. Ce concours que je n'avais jamais tenté car je ne pensais jamais l'avoir, je m'y plongeai. Ce n'était pas si simple. Tout d'abord, j'avais tout de même 3 enfants de moins de 6 ans à la maison dont je devais m'occuper très souvent seule et dont un nouveau-né que j'allaitais. Par ailleurs, après des débuts difficiles, j'avais fini par apprécier mon métier, apprécier ces élèves particuliers, par accepter mon rôle et par profiter moi aussi d'une autorité qui me permettait de les mettre en activité sans heurts. Sans doute persuadée que cette préparation serait vaine, je m'y jetais consciencieusement. Elle avait l'avantage de ne pas trop me sentir "mère au foyer", de me bousculer intellectuellement. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis mon nom sur la liste des admissibles puis des admis. Lors des oraux d'admission, moi qui étais déjà fonctionnaire, je croisai de nombreux contractuels qui année après année, tentaient ce même concours, se trouvaient dans des situations précaires faute d'avoir le précieux sésame mais qui continuaient à enseigner, de contrat en contrat, au grè des besoins de l'éducation nationale. J'ai découvert la précarité de leur statut car, je dois bien l'avouer, je n'y connaissais rien. J'avais un peu honte de leur prendre une place alors que j'en avais déjà une car j'en reste persuadée, si j'ai été admise à ce concours, c'est surtout parce que j'étais déjà fonctionnaire. 

    Ma fille venait d'avoir 10 mois et je devenais prof de collège. Mon premier poste ne fut pas sans accroc alors que les élèves n'avaient plus rien à voir avec les anciens. Pourtant, je peinais à me sentir à ma place, à me dire que dorénavant je n'enseignerais plus que du français. Moi qui avais eu tant de mal à enseigner toutes les matières, je me demandais si je supporterais de n'en enseigner plus qu'une seule. Pour cette année de stage, je me retrouvais dans le collège de mon enfance, à côtoyer des profs qui avaient été les miens et qui dorénavant étaient mes collègues. J'écoutais les conseils de certains me rappelant les heures d'ennui et de vide passées dans leurs cours. J'admirais le silence d'autres dont j'avais adoré l'enseignement. Bref, j'étais perdue et les 3 premières semaines furent catastrophiques. Moi qui étais devenue à l'aise face à des élèves pourtant hostiles, je me faisais bouffer par des petits sixièmes fort agréables. J'étais, comme tous les stagiaires, suivie par une formatrice. J'avais la chance d'avoir une collègue pour formatrice et celle-ci pouvait donc venir dans mes cours. Certains des stagiares n'avaient, eux, personne pour les seconder.

    Lorsque ma formatrice vint pour la première fois, elle hallucina: du bruit, des déplacements intempestifs, des cahiers non tenus... Bref, la cata. Elle ne comprenait pas comment je pouvais m'en sortir aussi mal. Je ne le comprenais guère si ce n'est que je n'avais pas envie d'être là. Une de mes anciennes élèves venait d'attenter à ses jours et je me sentais responsable. J'avais l'imppression d'avoir laissé mes anciens élèves, ceux qui espéraient me retrouver à la rentrée. C'était stupide, c'était m'accorder beaucoup d'importance mais je n'y pouvais rien. J'avais passé ce concours par ras le bol, par dépit de la situation des P.E et je ne m'attendais pas à me retrouver dans ce nouveau rôle. Heureusement, le soir de cette première visite déprimante, j'ouvris la porte et fus accueillie par ma petite demoiselle...sur ces deux pieds. La voir si petite, branlante mais volontaire, me remplit d'une joie immense. Comme un signe! Est-ce pour cela que je me ressaissis? Contre l'avis de ma collègue, je parlai franchement à la classe, leur expliquant l'impasse dans laquelle nous nous trouvions et leur imposant de nouvelles règles. Je jouai la franchise, leur livrant mes erreurs face à eux, la responsabilité qui était surtout la mienne du vacarme ambiant et, le jour-même tout rentra dans l'ordre.

    Je passai alors une année fort agréable et reposante: en stage, je n'avais que 6heures de cours à assurer et quelques formations fort inutiles mais qui ne me fatiguaient guère. Lorsque c'est votre premier poste, assurer ces seules six heures de cours représente un travail important. Après mes quatre années intenses en SEGPA, gérer une seule classe de sixième était une sinécure et, je savourais ce statut plus que privilégié. Forte de mon expérience en SEGPA, je profitais de ces élèves curieux et respectueux. Je m'aperçus que certains étaient certes aussi en difficulté mais, grâce au dédoublement, au cours de soutien, je trouvais des ressources en eux plus facilement. A la fin de cette année-là, j'obtins un poste dans un collège de la ville où je vivais et je découvris le plaisir d'aller travailler. Mon étiquette SEGPA me collait un peu à la peau et on m'attribuait souvent les classes à profil, les élèves décrocheurs mais je pouvais aussi retrouver des élèves brillants et cet équilibre me plaisait. J'ai passé de très belles années dans ce collège, j'ai découvert la possibilité de mener des projets, la possibiltés de voir des élèves évoluer, progresser. J'ai adoré les collègues que je cotoyés dont certains sont devenus des amis.

    Je vous épargne la suite. Je crois toutefois que, si ce n'était pas une vocation, j'aimais enseigner, j'aimais profondément travailler avec les élèves. J'avais la chance de n'avoir aucun problème de discipline et pouvais donc me consacrer à l'enseignement. Après une mutation en lycéé, je découvris d'autres facettes du métier mais ai maintenu ce plaisir d'enseigner. Malheureusement, enseigner en lycée a développé un sentiment d'usurpation que je peine encore à surmonter. Pas facile de se sentir à la hauteur quand on a une simple licence obtenue sans mérite et un capes qu'on a l'impression d'avoir volé. Mon manque de culture, mes origines ouvrières me semblent inopportuns dans ce lieu où nombreux érudits se côtoient. Toutefois, je me sens bien avec les élèves. Régulièrement j'ai des classes peu enclines à l'effort et d'autres fort travailleuses. Je passe de longues heures à préparer mes cours, de plus longues encore à corriger leurs copies mais j'aime ce temps d'enseignement, ces heures à deviser inutilement sur des textes, à les obliger à réfléchir, à attendre. J'aime ce rouleau compresseur qu'est l'année scolaire et qui amène une dynamique fort prévisible et toujours étonnante. Je hais plus que tout les copies fort nombreuses puisque ma matière oblige à de nombreux exercices mais elles sont compensés par des heures de cours souvent plaisantes (enfin, en ce qui me concerne, je ne suis pas sûre que les élèves soient toujours amusés par les textes que je leur propose. Si Rabelais me fait rire, eux, c'est souvent de moi qu'ils rient, cherchant en vain à saisir ce qui est comique!)

    On pourrait donc croire que tout va bien, et pendant quelque temps ce fut le cas puisque, passée de P.E à PLC, j'ai eu l'impression de voir mes conditions de travail et de rémunération nettement améliorées et pourtant, aujourd'hui, j'ai mal à l'école! Cette "école de la confiance", je ne l'ai jamais sentie aussi inadaptée, aussi incapable de permettre une éducation appropriée à taille humaine. Notre lycée va devenir une immense cité scolaire accueillant plus de 2000 élèves. Les élèves seront dans tous les cours 35 par classe sans aide ni dédoublement pour la plupart. Et si dédoublement il y a, c'est forcément au mépris d'autres matières. Il faut faire des choix, des choix que les élèves eux-mêmes doivent prendre sans connaître les règles du jeu. Diminuer le nombre d'heures pour le simple but de faire des économies, non pour améliorer les conditions et l'apprentissage des élèves car, à la place de ces heures perdues, que met-on? Rien! On aurait pu utiliser ces heures pour les transformer en soutien, en temps d'investissement, en temps de recherche ou de projet. Mais rien! Trop cher!

    Ces élèves doivent faire des choix pour leur orientation sans que personne ne les aide vraiment. Les enseignants sont désignés pour orienter: depuis quand connaissent-ils l'ensemble des filières post-bac? le monde du travail? Qui sera d'accord pour jouer ce rôle gratuitement? Qui accepterait de voir ses obligations multipliaient à l'infini sans reconnaissance salariale? La charge des professeurs principaux ne cessent d'augmenter mais leur indemnité n'a pas changé. Etre payé l'équivalent de 20 minutes par semaine pour gérer 35 élèves (suivi scolaire, orientation, lien avec les familles...), c'est une gageure impossible. Le gouvernement annonce que 54 heures par an et par classe doivent être réservées à l'orientation mais qui va les assurer alors que aucune de ces heures n'est réellement financée dans le budget alloué. Une enveloppe d'heures a été donnée mais elle est tellement maigre qu'elle ne permet rien, à peine les heures imposées. Les conseillers d'orientation disparaissent. Les élèves sont de plus en plus en difficulté et on leur offre de moins en moins de personnels, de soutien, de perspective

    J'ai mal à l'école. Je n'en peux plus de voir des enseignants dégoûtés, des enseignants déprimés. Vous voulez proposer un voyage scolaire? Il faut presque le financer en juin de l'année précédente? C'est cela un projet de classe? Est-ce comme ça qu'on organise en fonction des élèves? Vous voulez individualiser le travail mais on vous impose plus d'élèves, plus de classes. Comment cela est-il possible? 

    Je n'ai pas choisi ce métier par vocation, je l'ai choisi par pragmatisme. Il s'avère qu'il me plait et que je m'y investis avec intérêt. Mais, peu à peu, je sens que ce que l'on me demande est stupide, sans fondement. Les nouveaux programmes, d'une exigence folle, semble seulement là pour masquer la dégradation des résultats. Et ensuite? On nous demandera une correction des plus bienveillantes, imposant une moyenne minimum obligatoire faute de se voir obligé de recorriger les copies. C'est ça l'école? Des choix dictés pas des pratiques économiques? Le mépris par le gouvernement du corps enseignant vient de plus en plus fragiliser même les plus motivés. Les conditions infligées corroborent cette impression et, il est évident que peu à peu, l'envie de quitter l'éducation nationale me gagne. On nous propose même une petite prime pour trouver la sortie. Pourtant, aujourd'hui, un prof absent n'est pas remplacé s'il est absent moins de 3 semaines faute de personnel mais, il faut écrémer, vider, économiser! 

    Je ne travaille pas dans un établissement difficile mais je rencontre de nombreux élèves en difficulté, des élèves qui ne peuvent trouver chez eux quelconque aide même si souvent leurs parents sont de bonne volonté. Le système creuse les inégalités et il est certain que les enfants (ou petits-enfants) de ceux qui font des choix pour l'école ne sont pas ceux qui subiront les conséquences de leur politique destructrice.

 

Petite, fille d'ouvrier, l'école a été le lieu de ma réussite et de mon autonomie. J'ai l'impression qu'aujourd'hui, l'école a surtout pour but de laisser chacun à sa place.

 

 



04/04/2019
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