FABULATIONS

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Si loin du 6 juin

 

Le 6 juin referme ses festivités, dans ma région, c'est une date tellement importante qu'on entend régulièrement l'idée que ce devrait être un jour férié. 6 juin 2019, 75 ans après le terrible débarquement, les gens se souviennent. Jusqu'ici, on fêtait les décennies, enfin depuis 35 ans, mais, les vétérans vieillissant, les besoins de symbole obsédant, c'est une demi-décennie supplémentaire que l'on a célébrée.

 

6/06/1984: c'était je crois la première année que l'on fêtait ce débarquement en grande pompe. Je dis bien je crois car rien ne me permet d'affirmer le contraire, j'avais alors 10 ans et je découvrais donc ma première fête du jour-j. Parce qu'à l'époque, foin de D. Day mais un jour-j, en relative discrétion quand même. Les enfants de l'école entonnaient la marseillaise, on pavoisait les rues, et on accueillait les quelques vétérans qui acceptaient de se déplacer. Co me dit qu'ils avaient pour la plupart l'âge des premières années de retraite, cet âge où on revient sur son passé, où on a encore beaucoup d'énergie pour le partager. J'ai un peu honte mais, pour moi, le 6 juin 1984, c'est le souvenir d'une injustice, d'une colère terrible qui m'envahit. Ce jour-là, j'avais dans ma petite main le papier qui contenait le texte que je devais lire. Depuis des jours je m'entrainais à le prononcer, pour ne pas écorcher le moindre mot, pour ne pas commettre la moindre bêtise. J'étais fière de l'honneur qui m'était fait en récompense de mes brillants résultats scolaires. Ca m'avait permis d'accepter que d'autres avaient été choisis pour porter les drapeaux, 3 drapeaux et j'avais bien remarqué qu'on avait choisi les filles les plus belles, les garçons les plus beaux, ceux qui avaient de belles chemises blanche au col impeccable. J'avais revêtu une jolie robe, celle qu'on avait achetée pour la communion de ma cousine et j'attendais le cœur battant. J'allais me lancer vers le pupitre lorsque je compris que ce n'était pas mon nom que le maire prononçait mais celui de sa petite fille. Je n'avais pas remarqué qu'elle aussi portait un petit papier. La fureur s'empara de moi, je ne comprenais pas pourquoi cette fille prenait mon rôle, elle qui ne faisait même pas partie de l'école, elle qui n'avait pour seule mérite que d'être la petite fille du maire. Je sentais les larmes affleurer mais je n'osais pas pleurer de peur de me faire gronder, de peur de me faire remarquer. Je hurlais à l'injustice en silence.

 

Je n'ai guère assisté aux commémorations suivantes même si, pour le cinquantième anniversaire, j'écrivis, sur les diplômes qui leur serait remis, les noms des vétérans ayant débarqué sur la plage où habitait pour copain de l'époque. Près de 500 diplômes que je complétais de ma plume d'oie, en pleins et déliés me permirent d'occuper mon été qui pour les étudiants commençaient dès le mois de mai. AUjourd'hui je m'amuse de savoir que mon écriture se cache sans doute quelque part dans les tiroirs de Canadien ou autres Américains. Ces diplômes, ce serait surtout les veuves qui viendraient les récupérer durant une cérémonie, parait-il, lourde en émotion. Je ne peux que me contenter de on-dit puisque ces cérémonies, comme la majorité des cérémonies cette année-là, étaient réservés aux privilégiés, soit qu'il eût débarqué, soit qu'ils aient pignon sur rue. De ce cinquantième anniversaire reste toutefois ce parc superbe, construit sur une ancienne décharge, symbole de nations réconciliées. Il fallait, à l'époque, s'acquitter de la jolie somme de 50 francs pour parcourir les allées à peine fleuries de la colline aux oiseaux. Aujourd'hui, l'accès en est libre et la végétation est magnifiquement luxuriante.

 

Le 6 juin 2004 a vu la première retransmission simultanée de nombreux feux d'artifice mais je ne me souviens guère de plus de détails. C'est toutefois, je crois, le début du D. Day, le début du tourisme mémoriel, le début de ce qui, aujourd'hui me donne la nausée.

 

6 juin 2019, plus de Jour-J maintenant, c'est le D. DAY, sans doute plus vendeur, sans doute plus exotique, sans doute plus cosmopolite mais ce qui est sûr c'est que ce n'est pas plus altruiste. Aujourd'hui le 6 juin ressemble à une grande kermesse de la paix, the place to be, l'endroit où tout le monde doit se montrer, l'endroit que l'on utilise pour montrer du doigt ceux qui ne le méritent pas, ceux qui ne sont plus nos copains, l'endroit où on distribue les bons points pour ceux qui font des efforts, l'endroit où on s'écrase devant les désirs américains, bref, le 6/06 est une belle entreprise politique et surtout lucrative. Plus d'accueil, plus d'hospitalité, on engrange de l'argent sur le dos d'hommes morts alors qu'ils avaient à peine vingt ans. Est-ce que j'ai le droit d'avoir envie de vomir quand je vois le prix affiché sur l'hôtel du coin? Vous savez, ces merveilleux hotels dans les chambres desquels vous pouvez dormir à trois tout en entendant les ronflements de la chambre d'à côte, ces hôtels qui, sans doute par convivialié, vous offre les toilettes sur le palier et la vue sur le parking du supermarché. Ces paradisiaques hôtels bon marché vous permettaient, en ce 6/06/2019 de profiter de leurs lieux pour la modique somme de 70 euros! Une bagatelle ...(pour un massacre!). Dois-je également parler de ce particulier qui a généreusement proposé des chambres chez lui, celles des enfants étudiants, pour la modeste somme de 150 euros, ou alors cette collègue qui s'est vantée d'avoir loué sa maison pour toute la semaine 2000 euros tandis qu'elle irait loger chez sa mère, gratuitement! Dois-je parler des prix qui flambent sur la côte, des menus des restaurants qui disparaissent pour des produits à la carte, des bus, des covoiturages qui, vu le prix, laisse penser que la côte s'est éloignée de la grande ville.

Le 6 juin, j'ai pris mon vélo puisque les routes étaient toutes bloquées, je n'en avais cure, il faisait beau et je repoussais chaque jour l'idée de le prendre pour aller travailler. Toutes les routes bloquées une fois tous les dix ans ou tous les cinq ans, il n'y a pas de quoi pleurer. Mais, sur mon petit vélo, je me suis fait arrêter, interdiction de passer sous le pont par lequel M. Trump allait transiter quelques minutes plus tard. Pendant quinze minutes des dizaines de véhicules ont franchi ce pont à des vitesses extraordinaires. Etait-ce réellement nécessaire? Peut-on accepter encore voir le président de la république française descendre avec quelques invités de son avion alors que nous sommes à 200 kilomètres de Paris? Comment entendre ensuite les demandes d'efforts, d'économie? Les cérémonies ont brillé par l'absence du public puisque tenu éloigné des personnes importantes. Mon petit vélo et moi nous avons donc attendu, nous demandant bien ce que nous pouvions causer comme danger plus importants que ces bolides effreinés? cette attente m'a permis quelque conversation agréable avec un professeur d'université qui me racontait que les bunkers dans lesquels il se cachait petit étaient maintenant devenus un lieu visité moyennant quelques deniers. Toute la région ne semble vivre que de ce tourisme mémoriel laissant entendre qu'heureusement qu'on a eu la guerre vu qu'on n'a pas de soleil! Ce soleil était pourtant bien généreux en ce D. Day et n'a attendu que le lendemain pour laisser la place aux nuages pleurant à moins que lui aussi n'ait choisi de s'éloigner, dégoûté de travailler gratuitement pour des gens qui semblaient ne vouloir que profiter grassement de ce lucratif débarquement.

 

Vivement les 80 ans! On trouvera plein de nouveaux trucs pour se faire plein d'argent sur le dos de gosses de 20 ans, "qui criaient la France en s'abattant".

 

Excusez moi, je pars vomir

 

 

 



09/06/2019
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