FABULATIONS

FABULATIONS

Jeudi 20 octobre

Ecrire, effacer, écrire. Je ne suis pas un écrivain et je ne le serai jamais. On pourrait dire écrivain, écrivaine, cela ne changerait rien. Je ne saurai jamais conter la vie, donner les détails qui font du bien. Je ne sais pas, en quelques mots, peindre un décor, suggérer une ambiance. Mon écriture est comme moi, ampoulée, lourde, absconse et ennuyeuse. Je cherche ma place comme je cherche mes mots à moins que ce ne soit le contraire.

Il était là ce matin, allongé à ma gauche, le souffle léger, l'odeur nauséabonde. Il s'est levé avant que le réveil ne sonne afin de ne pas me déranger. Il ne veut jamais me déranger. Il devance mes besoins, il devine mes espoirs et me laisse partir quand il voudrait que je reste. Ca fait 5 ans qu'il partage ma vie, 5 ans qu'il subit mes sauts d'humeur et qu'il s'accorde avec mes envies, mes ennuis. Nous avons partagé nos jours, nos nuits puis nos fin de semaine et dorénavant nos samedis. Nous avons tenté de cohabiter mais nous étions trop différents alors nous avons appris à nous déshabituer et à nous retrouver occasionnellement.

Ce matin, nous étions ensemble. La veille, j'avais pris mon vélo pour venir jusque chez lui, j'avais envie d'aller voir ce film au cinéma, film dont je ne savais quasiment rien hormis qu'il était drôle. Et il l'était. Nous nous étions ensuite endormis l'un à côté de l'autre comme un vieux couple. Un jour de cours, il était trop fatigué pour faire l'amour et,moi, sans doute pas assez excitée pour en avoir envie, pas assez libérée pour lui donner l'envie.

Je restai couchée tandis que je l'entendais se préparer. Il cherchait à ne pas faire de bruit, il reproduit toujours les mêmes gestes, toujours la même routine. Et enfin, il fut l'heure de partir, je l'entendis se rapprocher, j'ai rapidement caché mon téléphone pour ne pas trop lui montrer que ce n'est pas lui que j'attendais et je l'ai embrassé. Doucement, un baiser léger qui appuie à peine sur les lèvres. J'ai entendu la porte claquer, déjà il roulait vers le lycée.

J'ai lu quelques posts, pensé à lui, là-bas et je me suis levée pour aller boire mon café. Il l'avait bien sûr préparé et m'avait prévenu qu'il ne serait pas assez fort, il n'en avait plus assez. Petit détail sans importance, petit détail qui me chagrine non moins par la qualité du café que pour cette impression que toujours il tente de peu dépenser, d'économiser le plus possible, lui qui déjà a tellement économisé. Combien de fois dois-je sortir mon porte-monnaie parce qu'il n'a pas d'argent? Combien de fois ai-je l'impression que c'est moi qui dois payer car il a peur du montant. J'ai bu mon café, il était parfait.

Il m'a envoyé un texto pour me dire qu'il faisait très humide. C'était presque un espoir, une bénédiction. J'allais pouvoir utiliser sa voiture et laisser mon vélo. J'avais juste oublié combien il était difficile de rejoindre le lycée quand je partais de chez lui, combien il était long de rester dans les bouchons.

Le lycée, mon autre maison, j'y vais quasiment chaque jour depuis 11 ans, depuis 11 longues années, depuis que j'ai décidé sur un coup de tête de demander ma mutation alors que je vivais des moments difficiles. Ce lycée, j'ai beau y enseigner depuis 11 ans, je n'y suis guère à l'aise, je n'y ai pas d'amis. Mes collègues de travail sont sympathiques mais je n'ai pas su lier de relations privilégiées, sauf avec lui, bien sûr, depuis 5 ans. Après nous être côtoyés pendant 5 années, nous avons peu à peu fini par nous rapprocher, fini par nous lier. Nous sommes plutôt discrets même si rares sont les personnes qui ignorent notre liaison.

J'allume l'ordinateur. Depuis quelques jours, enfin, cet allumage est rapide. Plus ces longues minutes à attendre, plus ces longues minutes à craindre qu'il ne s'allume pas, qu'il ne fonctionne pas. Je peux imprimer le texte qui me servira de support en début de matinée, celui qui permettra à mes élèves de première de découvrir l'un de mes romans préférés, l'un de ceux qu'ils detesteront le plus mais qui les fera sourire quand je l'aurai expliqué. Il est l'heure, ils sont déjà devant la porte. Pas tous, quelques uns manquent à l'appel. Je leur demande de se mettre dans le fond. Ils s'étonnent mais obéïssent. Je n'ai guère l'habitude d'ailleurs que les élèves s'opposent ou se révoltent. Je n'ai guère l'habitude de les voir me contrarier. En quelques minutes, je les dispose en groupe, quelques ratés à cause d'élèves absents mais rapidement tout est organisé. Je leur donne la consigne, leur distribue l'incipit de La Princesse de Clèves et les laisse se dépatouiller. Ils lisent, s'étonnent, ne comprennent pas les subtilités du texte. Je me rends compte qu'il y a pour moi aussi de nombreux manquent mais je tente de les aider. Je réponds à leurs questions, les aiguille, leur donne même quelques éléments de réponse quant à l'analyse. Je distille ainsi un peu un cours magistral sans en avoir l'air, avec leur bénédiction. J'apprécie tout particulièrement ces instants partagés. Je les vois se moquer, sourire de mon enthousiasme, de ma capacité à m'amuser sur ce qu'ils ne trouvent qu'ennuyeux. Je tente de leur trouver des excuses et je les entraîne vers le travail. Bien sûr, il y a ceux qui ne feront pas grand chose mais ce seront les mêmes que ceux qui n'auraient rien écouté. Quel amusement que de les voir lire, proposer, espérer, malheureusement, une bonne note. LE graal!

L'heure passe si vite que déjà, il est l'heure de se quitter. Je les revois tout à l'heure, ils peuvent donc tout laisser.

Quinze minutes à peine , quinze minutes avant le prochain cours. Quinze minutes, à peine suffisant pour descendre les deux étages, se rendre en salle des profs, faire chauffer l'eau, laisser  infuser et lire le journal en buvant son thé. Mais je descends. Je retrouve quelques têtes à qui j'adresserai quelques mots mais serai dans mon coin, près de la fenêtre sans réellement participer à la conversation.

J'aurai quelques secondes de retard quand je retrouverai mes étudiants. Les mêmes que je retrouve depuis deux ans et avec qui je partage d'agréables moments. Ils me sont sympathiques et même s'ils ne fournissent guère d'efforts, ils tentent de remplir leur part du contrat. L'habitat participatif nous occupe depuis quelques cours et aujourd'hui, enfin, je dois leur diffuser le reportage promis. C'est sans compter le son qui ne fonctionne pas, les enceintes qui ne sont pas branchées puis non reconnues par la machine jusqu'à ce que je trouve la parade sous le regard patient de mes étudiants. Ils pourraient en profiter pour trop se dissiper mais se contentent de quelques bavardages et cessent quand, enfin, le reportage commence.

Il est 11h10 quand se termine ma matinée. Impossible, contrairement aux autres jours, pour moi de manger au lycée puisque ce midi, c'est le repas de fin de période, le repas pour lequel chacun apporte quelques victuailles à partager. J'ai pu par le passé quelque peu y participer mais depuis quelque temps, je n'en ai plus envie. Depuis que certains sont partis à la retraite, depuis qu'il n'y a plus que des filles qui s'y inscrivent, depuis que je ne supporte plus guère celle-ci qui parle si fort et qui a fait fuir la majorité des gens qui venaient. Elle prend tellement de place, elle impose tellement ses idées arrêtées et parfois déplacées que peu sont ceux qui osent encore se déplacer dans cette salle.

On est jeudi, c'est le repas de fin de période et je dois donc trouver un endroit où manger. J'avais pensé qu'à velo j'irai jusqu'au bar du bas mais je n'étais pas à vélo. Et puis, il faut bien me l'avouer, j'avais regardé le matin même si en ce bar, j'avais une chance de l'y retrouver et j'espérais passer quelques instants avec lui. Lui, un collègue que j'apprécie même si nous n'avons pas grand chose en commun mais un collègue qui m'a peu à peu donné confiance en moi. J'ai repris cette voiture qui n'est pas la mienne, j'ai descendu la rue mais je suis passée devant le bar sans oser m'y arrêter. J'ai finalement poursuivi ma route jusqu'à une boulangerie où j'ai acheté un sandwich sans intérêt mais très cher.

Je mastique mon bout de pain au goût âcre et acide comme si la mayonnaise avait tourné et je me rémémore les mots de celui que j'ai appelé à le fin de mes cours. Celui qui depuis 15 ans bientôt est entré tel un tsunami dans ma vie, celui qui est responsable de ma dépression, de mes kilos en trop après avoir causé mes kilos en moins. Je l'ai appelé alors que je m'étais juré de ne plus le contacter. Mais chaque jour, je me promets de faire la morte, et chaque jour j'envoie un sms, un mail ou l'appelle. Une fois de plus, nous avons passé une bonne partie de l'échange à parler de lui. Il ne s'intéresse guère à grand chose d'autre. PArler de lui et changer de conversation quand je parle de moi. Je l'ai appelé en visio et puisqu'il était chez lui, il n'a pas chercher d'excuse, n'a pas feint de ne pas pouvoir répondre. En mastiquant mon sandwich, je mesure le déclin qui est le mien, la communication impossible, les rêves interdits. Je ne peux rien faire, je ne parviens pas à lui parler alors je l'écoute, je raccroche frustrée et j'attends.

Je remonte vers le lycée, et retrouve l'autre partie de la salle, celle qui est occupée par les garçons. Ils sont là à discuter doucement, à échanger sur des thèmes que je ne connais pas et sur lesquels je donne mon avis. Je me sens stupide, je mesure combien je devrais me taire mais je parle et joue le rôle que je pense être le mien.

Et il est 13.30, et il est l'heure de retrouver les élèves du matin et de refaire le même sketch, d'espérer de timides résultats. L'heure passera très vite et il sera déjà le moment de remettre les tables à leur place, de rendre les copies de l'évaluation précédente et de rentrer chez moi. Je reprends sa voiture, inquiète du voyant qui s'allume, de l'aiguille de la jauge qui descend. Le soleil dorénavant brille. J'arrive chez lui, récupère mon vélo et rentre chez moi. La chaleur est printanière, le souffle du vent me chauffe et je tente d'appuyer suffisamment sur les pédales pour atteindre péniblement les 20km/heure. LA dernière côte fait largement baisser la moyenne mais je retrouve enfin ma maison, ma fille. Elle est couchée, quelque peu affaiblie par la pose du stérilet qu'elle a subie aujourd'hui. Son premier, celui qu'elle n'a osé demander que parce que sa soeur a sauté le pas. 20 ans bientôt et une jeune adulte qui prend sa vie en main. Et commence pour moi une longue soirée de solitude.

Elle ne rentrera pas ce soir. Je ne sais pas si je suis soulagée ou déçue. J'allume la télé, je devrais corriger mes copies mais je n'y arrive pas, je n'y parviens pas tant aucune concentration ne m'est possible. Je repousse toujours à demain. Je repousse alors que j'aimerais tant qu'il n'y ait plus aucune copie pour les vacances mais c'est manqué.

Les candidats de question pour un champion m'ennuient. Je sais que j'attends son message. Il m'a dit ce matin qu'il avait rendez vous chez le médecin et avant de raccrocher je lui ai demandé de me donner des nouvelles. ALors j'attends. Depuis 15 ans, je passe mon temps à attendre, à calquer ma vie sur la sienne, à n'être plus rien. Il sera 17.10 lorsqu'il me donnera enfin des nouvelles, plutôt bonnes, enfin, plutôt celles qui étaient attendues. Je sais ce que j'aimerais qu'il aille dire au médecin, pourquoi il devrait consulter mais je comprends qu'il n'ose pas. Qui irait parler de ces problèmes-là. Petite mort assurée.

Je regarde en replay un film sans intérêt. Je comprends que je n'aurai pas le courage de me faire à manger même si j'ai faim. Enfin faim? Je ne sais guère, je ne cesse de grignoter, de noyer ma solitude dans le sucre. Comme pour lui, le sucre, je me promets chaque jour de ne pas y toucher mais je ne cesse d'engloutir sucreries ou autres mets tout aussi peu recommandés. Les kilos s'accrochent et je peine à lutter. Je décide de me rendre au supermarché d'à côté, j'y achèterai des lasagnes au thon et des yaourts à la noix de coco. Pas vraiment diététique. Je prendrai aussi quelques viennoiseries pour le lendemain matin.

La soirée se fera devant la fin du téléfilm puis un autre film et la fin d'un troisième devant lequel je tape ces mots.

La journée ne fut ni nullissime, ni captivante. Demain est la dernière avant les vacances, ces vacances que je passerai, j'espère à nettoyer, ranger cette maison qui devient un vrai capharnaum. Mais je sais que ce que j'attends par dessus tout, c'est partir, partir et me retrouver.

 

Arles

Arles



20/10/2022
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