FABULATIONS

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L'école à la maison: En saignant

Depuis une semaine maintenant, nous sommes confinés à la maison. Ce fut d'abord une annonce accueillie favorablement, comme des vacances anticipées, une pression qui semblait retomber.

Malheureusement c'est en plein oraux blancs que l'information est tombée et de manière précipitée ce qui a rendu quasiment impossible toute organisation. Et ce fut sans doute une nouvelle erreur du ministère, ne pas anticiper la fermeture et ne pas donner le temps aux enseignants d'envisager la situation avec leurs élèves. Le jeudi, le ministre ne cessait d'affirmer qu'aucune fermeture nationale n'aurait lieu et le soir même le président annonçait la mesure inverse. Il ne restait qu'une journée pour organiser l'école à distance, une journée déjà insuffisante pour les enseignants du premier degré qui n'ont en charge généralement qu'une classe et donc complètement grotesque pour ceux qui suivent plusieurs classes. Je ne dis pas que la mesure n'avait pas lieu d'être, je pense simplement qu'elle était au contraire inéluctable et qu'il aurait été plus judicieux de la préparer. Pour ma part, c'est 0 élève que j'ai vu avant de quitter le lycée. Heureusement, le lundi, qui n'était pas encore un jour de confinement général, j'ai pu me rendre dans mon lycée, récuperer les manuels nécessaires et emprunter un ordinateur pour travailler.

Dès le mardi, la donne avait changé, le confinement devenait général et les autorisations de sortie exceptionnelles. L'école à la maison devenait une réalité pour tous les élèves sans possibilité, pour les plus fragiles de pouvoir sortir. Là encore, il semblait évident qu'il en serait ainsi mais là encore, l'anticipation n'a pas été la règle. Pire, le gouvernement, en dépit du bon sens avait permis la mise en place des élections municipales envoyant des dizaines de personnes contaminer des dizaines d'autres. Les autorités nous affirmaient que tout avait été mis en place pour rendre les votes sans danger oubliant ouvertement les dépouillements, les banquets d'aprés scrutin, les liesses de la victoire. Près de chez moi, le maire d'une grande ville a ainsi été contaminé sans doute à l'occasion de ces municipales. 

Cette impréparation, dans le cadre de l'éducation nationale, sonne le fiasco de l'école à distance. Les journaux sont chargés de reléguer les témoignages de familles prises en charge, d'élèves studieux, de parents attentionnés. Et c'est bien le reflet de l'éducation nationale telle qu'elle est aujourd'hui pensée par notre ministre: s'occuper de ceux qui n'ont aucune difficulté et laisser les plus faibles, les plus fragiles sur le bord de la route au mépris de toute équité. Peu importe que nombreux n'ont pas les conditions pour s'en sortir, tant que les privilégiés, eux, disposent de ce dont ils ont besoin. 

 

Mais concrètement, comment cela se passe. Il y a sans doute des matières plus enclines à l'école à distance. Ces cours de mathématiques où l'on donne l'exercice puis propose la correction. Chacun cherche dans son coin puis confronte son résultat avec la bonne réponse. Les enseignants, à l'aide de classe virtuelle, permettent la continuité pédagogique. En ce qui concerne ma matière, c'est plus délicat. Je peux bien sûr agir de cette manière avec les cours de grammaire, les exercices de compréhension mais lorsqu'il s'agit d'analyser, d'écrire, de composer, comment faire? Comment puis-je corriger les travaux de mes 120 élèves? Comment permettre l'accès à tous à la lecture, à l'écriture? Je croule sous les exercices rendus, les textes rédigés, les vidéos partagées . Je les lis tous mais n'ai pas le temps de les corriger tous, de les évaluer encore moins. 120 élèves (4classes), même si un élève n'écrit que 20 lignes par jour, c'est 2400 lignes à corriger, 4 exercies dont il faut écrire le corrigé. D'habitude, en classe, on ne les corrige pas tous, on passe dans les rangs, regarde, reprend, corrige quelques éléments puis on écoute certains et nombreux écrits ne seront jamais corrigés. Ce n'est pas si important. Là, il faudrait agir de même mais c'est impossible. Quel élève accepterait que son texte ne reste lettre morte? Quel élève supporterait un travail non commenté? Je les comprends. Je cherche d'ailleurs à les motiver pour poursuivre leur travail mais je croule, je m'essouffle devant l'ampleur de la tâche surtout que je suis fatiguée, sans doute peu épargnée par le virus ambiant. 120 élèves, le problème est là. 120 élèves, en temps normal c'est quasi ingérable mais là, ça devient insurmontable. Et Monsieur Blanquer, grâce à sa réforme des lycées, a fait en sorte que ça s'aggrave, que le nombre augmente de 50% l'an prochain. Et encore, comme chacun pouvait le pressentir, je ne reçois pas 120 écrits par jour. Nombreux sont les élèves qui ne jouent pas le jeu, ou qui ne peuvent pas le jouer pour de multiples raisons. 

 

Ces jours de confinement sont donc professionnellement parlant, des jours difficiles, éreintants, frustrants, inquiétants pour notre système éducatif. Les inégalités se creusent, les difficultés pour certains ne font faire que s'accroître.

 



22/03/2020
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